JesuisAssange, par Stéphanie Gibaud
Lanceuse d'alerte à l'origine des révélations sur les pratiques d'évasion fiscale de la banque UBS, Stéphanie Gibaud appelle à soutenir Julian Assange. Et dénonce le silence assourdissant de la classe politique mondiale.
Certaines rencontres marquent plus que d’autres et rares sont celles qui bouleversent au point de faire basculer notre existence.
Reconnu comme eÌtant le seul prisonnier politique en Europe, Julian Assange est l’une des personnes les plus controverseÌes au monde. C’est probablement pour cette raison qu’il est l’exemple meÌ‚me de la reÌsistance en ce deÌbut de XXIe sieÌ€cle. Tout a eÌteÌ eÌcrit – ou presque – sur la personnaliteÌ, l’enfance, les eÌventuelles «frasques» du fondateur du site d’information WikiLeaks et trop peu ne l’a eÌteÌ sur le contenu des reÌveÌlations faites par le journaliste et la publication qu’il dirigeait jusque à l’an dernier.
Depuis sa creÌation en 2006, WikiLeaks n’a fait que dévoiler des informations d’inteÌreÌ‚t geÌneÌral sans jamais eÌ‚tre condamneÌ quant aÌ€ la veÌraciteÌ de leur contenu et sans jamais avoir reÌveÌleÌ l’identiteÌ des lanceurs d’alerte qui fournissent des documents, pour la plupart confidentiels. Depuis plus de dix ans, Assange et ses eÌquipes n’ont de cesse de mettre aÌ€ la disposition de tout citoyen ce que cachent nos gouvernements. Leur devise est explicite : «We open governments».
Depuis sa creÌation en 2006, WikiLeaks n’a fait que dévoiler des informations d’inteÌreÌ‚t geÌneÌral sans jamais eÌ‚tre condamneÌ quant aÌ€ la veÌraciteÌ de leur contenu
Des quantiteÌs d’informations reÌveÌleÌes ces dernieÌ€res anneÌes ont veÌritablement alerteÌ voire alarmeÌ les citoyens : de la videÌo Collateral Murder teÌmoignant des assassinats perpeÌtreÌs par des militaires ameÌricains sur des civils en Irak au monitoring du portable de la chancelieÌ€re Angela Merkel, aÌ€ l’espionnage par l’Agence de seÌcuriteÌ ameÌricaine (NSA) d’eÌlites françaises et parmi celles-ci les preÌsidents Chirac, Sarkozy et Hollande mais aussi les «Syria files» et autres caÌ‚bles diplomatiques, la raison d’eÌ‚tre du site est de donner une audience aux lanceurs d’alerte avec le principe de la protection des sources et de la liberteÌ d’expression.
Toutes les informations soudainement reÌveÌleÌes ont participeÌ aÌ€ l’eÌveil des consciences internationales durant cette dernieÌ€re deÌcennie. DeÌcrieÌ par ses opposants aÌ€ la hauteur des enjeux et des reÌveÌlations, le «cyber-dissident» Assange a vu les pressions se multiplier et s’acceÌleÌrer. L’emprisonnement subi depuis 2012 dans une pieÌ€ce minuscule de l’ambassade de l'Equateur aÌ€ Londres – ouÌ€ le courageux preÌsident Rafael Correa lui a offert refuge – ne semblait pas suffire, les connexions internet et les visites faites au journaliste ont eÌteÌ supprimeÌes au deÌbut de l’anneÌe 2018, pour ajouter aÌ€ sa peine. Les histoires les plus folles ont alors circuleÌ, notamment que son chat, «Embassy cat», aurait meÌ‚me eÌteÌ entraiÌ‚neÌ aÌ€ espionner !
Toutes les informations soudainement reÌveÌleÌes ont participeÌ aÌ€ l’eÌveil des consciences internationales durant cette dernieÌ€re deÌcennie
Alors que nous avons eu eÌcho ces dernieÌ€res anneÌes que l’eÌtat de santeÌ d’Assange semblait se deÌteÌriorer treÌ€s rapidement, des experts de l’ONU ont eÌteÌ deÌtacheÌs aÌ€ Londres en 2016. Leur rapport a eÌtabli que les circonstances punitives extreÌ‚mes de l’enfermement de l’Australien eÌtaient arbitraires et qu’il devait immeÌdiatement eÌ‚tre libeÌreÌ.
Les historiens retiendront probablement le silence assourdissant de la classe politique mondiale sur cet enfermement de sept longues anneÌes. En cette triste journeÌe du 11 avril 2019, chacun de ceux qui connaissent Assange a eÌteÌ extreÌ‚mement choqueÌ du vieillissement preÌmatureÌ de sa peau aÌ€ sa sortie de l’ambassade de l'Equateur, lorsqu’il a eÌteÌ porteÌ et escorteÌ par des policiers britanniques. Ces images alertent sur le traitement aussi injuste que cruel subi par celui qui a oseÌ reÌveÌler les secrets d’Etat les plus dissimuleÌs.
Le travail d’Assange a toujours eÌteÌ d’informer, de participer aÌ€ l’inteÌreÌ‚t geÌneÌral et d’exposer la responsabiliteÌ de ceux qui nous gouvernent. La liberteÌ d’expression et la liberteÌ de la presse sont au cœur du texte de la preÌface dont il m’a fait l’honneur pour mon dernier ouvrage. Il maiÌ‚trise mieux que quiconque ce sujet pour avoir directement eÌteÌ la cible de certains de ses confreÌ€res alors qu’il est prouveÌ que WikiLeaks est l’organe de presse le plus rigoureux puisqu’il ne publie que des informations provenant de ses sources.
Comme tous ceux qui osent alerter, informer, enqueÌ‚ter, veÌrifier et croiser leurs sources, nous, lanceurs d’alerte, avons subi de plein fouet les deÌrives de nos deÌmocraties et la laÌ‚cheteÌ de nos dirigeants. Le meÌpris, l’arrogance, l’incompeÌtence, l’entre-soi ont eÌteÌ notre quotidien. Nous avons peu aÌ€ peu deÌcouvert que nos «eÌlites» n’auraient aucune limite quant au traitement de nos dossiers. Nous avons pris conscience les uns les autres que tout eÌtait mis en place pour que rien ne change jamais. Certains lanceurs d’alerte ont trouveÌ porte close lorsqu’ils se sont adresseÌs aux médias : dossiers trop gênants, dossiers jugés «ininteÌressants» voire «futiles».
Comme tous ceux qui osent alerter, informer, enqueÌ‚ter, veÌrifier et croiser leurs sources, nous lanceurs d’alerte avons subi de plein fouet les deÌrives de nos deÌmocraties et la laÌ‚cheteÌ de nos dirigeants
Les lanceurs d’alerte doivent beaucoup aÌ€ Assange car il a toujours deÌmontreÌ son esprit d’eÌquipe, ayant l’intelligence de souhaiter rassembler et feÌdeÌrer les lanceurs d’alerte et les journalistes d’investigation, comprenant que c’est la seule façon de pouvoir deÌfendre nos inteÌreÌ‚ts de citoyens. Alors que les droits et les devoirs de la Charte de déontologie Munich semblent avoir eÌteÌ oublieÌs par certains professionnels, Assange et ses eÌquipes ont prouveÌ leur eÌthique et leur inteÌgriteÌ par la publication de documents sourceÌs. On ne peut que reconnaiÌ‚tre le courage d’Assange et sa deÌtermination dans le combat pour la veÌriteÌ et le droit aÌ€ l’information.
Les meÌ‚mes causes produisant les meÌ‚mes effets, chacun des lanceurs d’alerte vit une bribe de la cruauteÌ qui est infligeÌe aÌ€ Assange : la lanceuse d’alerte Françoise Nicolas a subi une tentative de meurtre au sein de l’ambassade de France au BeÌnin ouÌ€ elle avait deÌnonceÌ des dysfonctionnements comptables. AbandonneÌe de toute la haute administration française, elle doit mieux que quiconque savoir ce qui se passe derrieÌ€re les portes d’une ambassade. Le lanceur d’alerte suisse Rudolf Elmer avait remis aÌ€ Julian Assange des DVD relatifs aÌ€ des comptes offshore de la banque Julius Baer (agence des iÌ‚les Caïmans) lors d’une confeÌrence de presse aÌ€ Londres ; il subit des repreÌsailles, une stigmatisation insupportable et un parcours interminable en justice en Suisse depuis une deÌcennie. Chelsea Manning, la militaire américaine qui avait transmis aÌ€ WikiLeaks la videÌo Collateral murder, est de nouveau emprisonneÌe aux Etats-Unis. Refusant de teÌmoigner contre Wikileaks, elle fait preuve d’un courage exemplaire.
Honte aux gouvernements français successifs, honte aux deÌmocraties europeÌennes qui n’ont pas voulu soutenir ni proteÌger Assange, laissant ce petit pays qu’est Equateur bien seul face aux pressions exerceÌes.
L’abandon des pouvoirs publics de nos «deÌmocraties vieillissantes» prouve que le droit aÌ€ l’information est en grand danger. C’est pourquoi la libeÌration d’Assange est l’affaire de tous les Français, aÌ€ commencer par tous ceux qui exercent la profession de journaliste. La liberteÌ d’expression eÌtant dans notre constitution, les Français se doivent de montrer l’exemple en se reÌunissant partout sur le territoire : l’organisation de marches nationales (voire aboutissant aÌ€ une marche internationale) de citoyens revendiquant la parole libre se doit d’avoir lieu avant le 2 mai, date aÌ€ laquelle Assange pourrait eÌ‚tre extradeÌ vers les Etats-Unis.
Tant qu’Assange n’est pas libeÌreÌ, la liberteÌ de parole ne peut eÌ‚tre garantie. La reÌsilience, la reÌsistance, le courage d’Assange doivent eÌ‚tre porteÌs. Son nom doit eÌ‚tre pour chacun et pour tous la reÌfeÌrence en matieÌ€re d’acceÌ€s aÌ€ l’information aÌ€ l’eÌpoque ouÌ€ le big data permis par la reÌvolution numeÌrique a remplaceÌ les photocopies en masse de documents confidentiels.
Le 3 juillet 2015, Julian Assange publiait une tribune dans le quotidien Le Monde ouÌ€ il deÌtaillait les conditions de son enfermement et appelait le preÌsident français François Hollande aÌ€ l’accueillir soulignant que «la France accomplirait un geste humanitaire». MalgreÌ les courriers reÌpeÌteÌs aÌ€ l’ElyseÌe de certains soutiens d’Assange, les reÌponses n’ont jamais eÌvolueÌ. Ce refus du preÌsident Hollande est aÌ€ la hauteur de la cruauteÌ et de la laÌ‚cheteÌ exerceÌes, notamment lorsque l’on sait que depuis sept ans, Assange n’a pas pu voir son enfant qui vit dans l’Hexagone, pour eÌviter des pressions additionnelles ainsi que des repreÌsailles sur sa famille.
Le subterfuge consiste aujourd’hui aÌ€ ce que Assange ne soit accuseÌ que de piratage informatique, ceci afin que l’extradition vers les Etats-Unis soit autoriseÌe par les tribunaux
L’isolement et l’abandon d’Assange sont non seulement choquants mais reÌveÌlateurs de l’indiffeÌrence et du cynisme de nos «eÌlites politiques». Par ce refus, le preÌsident du «pays des droits de l’homme» a alors montreÌ qu’il n’eÌtait pas aÌ€ la hauteur des valeurs de notre pays ni des enjeux car Julian Assange, par ses reÌveÌlations, a participeÌ aÌ€ la deÌfense de nos propres inteÌreÌ‚ts de Français.
Le subterfuge consiste aujourd’hui aÌ€ ce qu'Assange ne soit accuseÌ que de piratage informatique, ceci afin que l’extradition vers les Etats-Unis soit autoriseÌe par les tribunaux de la Grande-Bretagne pour l’Hexagone enfermement aux Etats-Unis qui ne durerait que cinq ans. Or il est eÌvident que Assange y risque un proceÌ€s aÌ€ charge pour des motifs d’espionnage et une peine de prison aÌ€ vie dans une maison d’arreÌ‚t de haute seÌcuriteÌ.
Dans le contexte d’une fracture deÌmocratique incontestable et du mouvement des Gilets jaunes, ouÌ€ des manifestants deÌnoncent une propagande meÌdiatique scandant : «Droit de manifester, droit d’informer : meÌ‚me combat !», quelles reÌponses le gouvernement français va-t-il pouvoir donner aux citoyens qui veulent repenser le systeÌ€me ?
Le preÌsident Emmanuel Macron avait comme ambition de rassembler les Français. Avant que la traque des lanceurs d’alerte ne soit inverseÌe et que ne soient rapidement traqueÌs les responsables des deÌrives plutoÌ‚t que les citoyens honneÌ‚tes, le preÌsident aurait une action courageuse et prouverait aÌ€ tous que la France, sixieÌ€me puissance mondiale, est le pays de la liberteÌ, s’il organisait deÌ€s aujourd’hui les conditions de l’asile et de la seÌcuriteÌ d’Assange. Certains d’entre nous ont de la meÌmoire et savent que la France a honteusement accueilli et proteÌgeÌ le dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier qui, deÌ€s 1986, a pu circuler librement et pendant 25 ans sur notre territoire.
Dans un pays en queÌ‚te de sens, nous sommes nombreux aÌ€ nous poser la question concernant quel type de société souhaitons-nous laisser aÌ€ nos enfants : s’agit-il d’un monde constitué de mensonges, de guerres inutiles, de corruption au deÌtriment du plus grand nombre ?
Levons-nous pour la liberteÌ d’expression, pour la transparence, pour nos deÌmocraties ! Soyons tous #jesuisAssange pour eÌ‚tre aÌ€ la hauteur des valeurs que nous repreÌsentons ! Alors la France marquera de nouveau l’histoire par son humanisme et sa liberteÌ d’expression.
#JesuisAssange, par Stéphanie Gibaud
Source: RT France
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